Dans toutes les histoires d’amour se rejouent les blessures de l’enfance : on guérit ou on creuse ses plaies.
Pour comprendre la nature de sa relation avec Guillaume, Clotilde Mélisse observe les souvenirs qu’elle sort de sa tête, le temps d’un voyage en train direction Heidelberg. Tandis que par la fenêtre défilent des paysages de fin du monde, Clotilde revient sur les événements saillants de son existence. La découverte de la poésie dans la bibliothèque maternelle, le féminicide parental, l’adolescence et ses pulsions suicidaires, le diagnostic posé sur sa bipolarité. Sa rencontre, dix ans plus tôt, avec Guillaume, leur lien épistolaire qui tenait de l’addiction, l’implosion de leur idylle au contact du réel.
Car Guillaume est revenu, et depuis dix-sept mois Clotilde perd la raison. Elle qui s’épanouissait au creux de son célibat voit son cœur et son âme ravagés par la résurgence de cet amour impossible. La décennie passée ne change en rien la donne : Guillaume est toujours gay, et qui plus est en couple. Aussi Clotilde espère, au gré des arrêts de gare, trouver une solution d’ici le terminus.
Liwa Ekimakingaï a passé son enfance et continue d’habiter chez sa grand-mère, Mâ Lembé, car sa mère, Albertine, est morte en lui donnant la vie. Il est employé comme cuisinier à l’hôtel Victory Palace de Pointe-Noire. Et il attend de rencontrer l’amour. Un soir de 15 août où l’on fête l’indépendance du pays, il réunit ses plus beaux atours à peine achetés l’après-midi, et assez extravagants, pour aller en boîte. Au bord de la piste de danse, la belle Adeline semble inatteignable. Pourtant, elle accepte ses avances, sans toutefois se compromettre. Elle signera sa fin…
Le roman est une remontée dans la vie et les dernières heures du jeune homme, qui assiste à sa propre veillée funèbre de quatre jours et à son enterrement. Aussitôt enseveli, il ressort de sa tombe. Pour se venger ?
En toile de fond, la ville de Pointe-Noire et ses cimetières – en particulier le Cimetière des Riches, où tout le monde rêverait d’avoir une sépulture mais où les places sont très chères, et celui dit Frère-Lachaise, pour le tout-venant dont Liwa fait partie.
Dans ce grand roman social, politique et visionnaire, la lutte des classes se poursuit jusque dans le royaume des morts, où ceux-ci sont d’ailleurs étrangement vivants.
Les deux héros de ce « roman sans fiction » semblent avoir vécu plusieurs existences. Le jeune avocat londonien Mohandas Gandhi en redingote noire et chapeau haut-de-forme devint l’infatigable marcheur vêtu de drap blanc, tandis que Pandurang Khankhoje, lui aussi militant indépendantiste indien, bourlingua un peu partout dans le monde, du Japon à la Californie, combattant révolutionnaire au Moyen-Orient pendant la Première Guerre mondiale, par la suite exilé au Mexique et proche de la petite bande de Diego Rivera et de Frida Kahlo. Il deviendra alors un scientifique célèbre, mènera des recherches en agronomie comme Alexandre Yersin, le personnage principal de Peste & Choléra venu en Inde lors de la grande épidémie de peste.
Le« samsara » définit la grande roue des vies successives à travers la réincarnation. Et c’est bien dans une grande roue que nous entraîne Patrick Deville dans ce nouveau roman, vaste fresque peinte tambour battant, sur un rythme haletant, de l’Inde coloniale puis indépendante, à travers les deux figures fil rouge de Gandhi le pacifiste, et plus encore de Khankhoje le révolutionnaire cosmopolite.
C’est pendant une autre épidémie, récente, que le narrateur parcourt un pays devenu le plus peuplé du monde, depuis les contreforts de l’Himalaya jusqu’à la pointe extrême du sous-continent, à Kanyakumari au sud du Tamil Nadu. Il rencontre des historiens et des géographes, des écrivains et des étudiants, et grâce à eux essaie de comprendre un peu l’histoire des bouleversements souvent terribles qui se sont enchaînés, depuis l’installation du Raj britannique à Calcutta dans les années 1860 jusqu’à nos jours.
Leïla, Tarek et Saïd grandissent dans un village de l’est de l’Algérie, au début des années 1920. La première, mariée très jeune contre son gré, décide de se séparer et retourne chez ses parents, avec son fils, dans la réprobation générale. Tarek est un berger timide et discret. Saïd, lui, vient d’une famille plus aisée et poursuit des études à l’étranger. Tous deux sont secrètement amoureux de Leïla.
La Seconde Guerre mondiale envoie les hommes au front, ils se perdent de vue. Saïd devient un homme de lettres. Tarek, rentré au village, épouse Leïla et adopte l’enfant. Trois filles suivront. Bientôt il rejoint la lutte pour l’indépendance, puis participe au grand tournage de La Bataille d’Alger, avant de partir travailler dans une usine, en région parisienne. Par une suite de hasards inattendus, il se retrouve gardien d’une magnifique villa à Rome, temps suspendu dans une trajectoire tourmentée.
Leïla, elle, connaît la vie des femmes rurales de cette époque. Cantonnée dans l’éducation des enfants et les tâches ménagères, elle décide d’apprendre à lire et à écrire.
Mais la publication du premier roman de Saïd vient bouleverser la vie du couple. Tarek doit rentrer au plus vite.
À travers les destins croisés de trois personnages, Kaouther Adimi dresse une grande fresque de l’Algérie, sur un siècle ou presque, de la colonisation à la lutte pour l’indépendance, jusqu’à l’été 1992, au moment où le pays bascule dans la guerre civile.
Il existe depuis toujours des Journaux de voyage, de rêve, de deuil, mais pas de nage. Pourtant, quoi de plus fragile et puissant, éphémère et total, sensuel et inspirant que le plaisir du bain ? En tenant le Journal de son été 2021 à Nice, Chantal Thomas innove, et poursuit l’entreprise paradoxale entamée avec Souvenirs de la marée basse, portrait de sa mère en nageuse : doter d’une mémoire ce qui, se traçant sur l’eau, se jouant dans un effet de lumière, est voué à l’effacement.
« Comme sont loin de moi par exemple les muscles de mes bras. » Cette phrase de Kafka, véritable fil conducteur, a été le déclic à partir duquel il lui a semblé essentiel, au sortir du confinement, de célébrer le chemin flottant d’un retour à soi, d’une harmonie retrouvée avec son corps et avec le monde.
Lors du décès d'une tante sans descendance, Annette Wieviorka réfléchit aux traces laissées par tous les êtres disparus qui constituent sa famille, une famille juive malmenée par l'Histoire. Il y a le côté Wieviorka et le côté Perelman. Wolf, l'intellectuel yiddish précaire, et Chaskiel, le tailleur taiseux. L'un écrit, l'autre coud. Ils sont arrivés à Paris au début des années 1920, en provenance de Pologne. Leurs femmes, Hawa et Guitele, assument la vie matérielle et celle de leurs enfants.
Dans un récit en forme de tombeaux de papier qui font oeuvre de sépultures, l'historienne adopte un ton personnel, voire intime, et plonge dans les archives, les généalogies, les souvenirs directs ou indirects. Par ces vies et ces destins recueillis, on traverse un siècle cabossé, puis tragique : d'abord la difficile installation de ces immigrés, la pauvreté, les années politiques, l'engagement communiste ou socialiste, le rapport complexe à la religion et à la judéité, puis la guerre, les rafles, la fuite ou la déportation - Paris, Nice, la Suisse, Auschwitz - et enfin, pour certains, le difficile retour à la vie marqué par un autre drame.
Tout l'art consiste ici à placer le lecteur à hauteur d'hommes et de femmes désireux de bonheur, de joie, de liberté, bientôt confrontés à l'impensable, à l'imprévisible, sans certitudes ni connaissances fiables au moment de faire des choix pourtant décisifs. C'est ainsi que des personnages très attachants et un monde disparu retrouvent vie, par la grâce d'une écriture sensible et précise.
Directrice de recherche honoraire au CNRS, Annette Wieviorka est une spécialiste mondialement reconnue de l'histoire de la Shoah. Elle a notamment publié au Seuil Auschwitz expliqué à ma fille (1999), 1945. La Découverte (2015) et récemment, aux éditions Stock, Mes années chinoises (2021).
Entre Paname et sa banlieue : un quartier, un parking, une friche, des toits, une dalle. Des coffres de voitures, chaises de camping, selles de motocross et rebords de fenêtres, pour se poser et observer le monde en train de se faire et de se défaire. Une pyramide, comme point de repère, au beau milieu de tout ça.
Astor, Chérif, Issa, Demba, Nil et les autres se connaissent depuis toujours et partagent tout, petites aventures comme grands barbecues, en passant par le harcèlement policier qu’ils subissent quotidiennement.
Un soir d’été, en marge d’une énième interpellation, l’un d’entre eux se fait abattre. Une goutte, un océan, de trop. Le soulèvement se prépare, méthodique, inattendu. Collectif.
Diaty Diallo a grandi entre les Yvelines et la Seine-Saint-Denis, où elle continue d’habiter aujourd’hui. Elle pratique depuis l’adolescence différentes formes d’écriture : de la tenue journalière d’un Skyblog à quinze ans à la rédaction d’un livre aujourd’hui, en passant par la création de fanzines et la composition de dizaines de chansons. Deux secondes d’air qui brûle est son premier roman.
Eunice, dix-neuf ans, athlète, étudiante en fac de psycho, vient de se faire larguer par son petit ami. Alcool et danse pour tenter d'anesthésier la tristesse.
En se réveillant avec une gueule de bois carabinée, la jeune femme pense avoir touché le fond mais les nombreux appels en absence laissés sur son portable par son père annoncent le pire. Sa mère, Jane, est morte, d'une chute dans l'eau du fleuve au sortir d'une boîte de nuit. L’enquête conclut très vite à un simple accident mais Eunice refuse d’y croire.
Et si un agenda rouge retrouvé dans un salon de coiffure lui donnait raison ? Et si les initiales écrites sur plusieurs pages étaient un indice ? Pour Eunice, c’est le début d’une quête de vérité afin de comprendre qui était cette mère dont elle réalise qu’elle ne connaissait pas grand-chose. Le choc du deuil rappelle que toute famille est le lieu de secrets enfouis.
La rencontre avec la sereine et superbe Jennah marquera un tournant vers l’apaisement.
Eunice est une histoire d’amours, de sororité, de transmission et de rémission. C’est aussi un éveil à la tendresse et au pardon. Un roman coup de poing, porté par une langue très rythmée.
Slameuse et artiste passe-frontières, Lisette Lombé a publié un court roman, Venus Poetica, et un recueil, Brûler brûler brûler (prix Grenades/RTBF). Elle est également cofondatrice du Collectif L-SLAM et sera, en 2024, la prochaine Poétesse nationale en Belgique.
PRIX MEDICIS 2020
Adélaïde vient de rompre, après des années de vie commune. Alors qu'elle s'élance sur le marché de l'amour, elle découvre avec effroi qu'avoir quarante-six ans est un puissant facteur de décote à la bourse des sentiments. Obnubilée par l'idée de rencontrer un homme et de l'épouser au plus vite, elle culpabilise de ne pas gérer sa solitude comme une vraie féministe le devrait. Entourée de ses amies elles-mêmes empêtrées dans leur crise existentielle, elle tente d'apprivoiser le célibat, tout en effectuant au mieux son travail dans une grande maison d'édition. En seconde partie de vie, une femme seule fait ce qu'elle peut. Les statistiques tournent dans sa tête et ne parlent pas en sa faveur : « Il y a plus de femmes que d'hommes, et ils meurent en premier. »
À l'heure de #metoo, Chloé Delaume écrit un roman drôle, poignant, et porté par une écriture magnifique.
Un élève officier de l'armée austro-hongroise, aspirant écrivain, adresse ses tentatives poétiques à Rainer Maria Rilke et sollicite son avis. De 1903 à 1908, en quelque dix lettres, le jeune homme, alors à la croisée des chemins, hésitant entre la voie toute tracée de la carrière militaire et la solitude aventureuse de la vie d'écrivain, confie à son aîné admiré ses doutes, ses souffrances, ses émois sentimentaux, ses interrogations sur l'amour et la sexualité, sa difficulté de créer et d'exister. Le poète lui répond. Une correspondance s'engage. Refusant d'emblée le rôle de critique, Rilke ne dira rien sur ses vers, mais il exposera ce qu'implique pour lui le fait d'écrire, de vivre en poète et de vivre tout court.
Publié pour la première fois dans son intégralité, cet échange intime ne permet pas seulement de découvrir enfin le contrechamp de lettres qui furent le bréviaire de générations entières, il donne au texte de Rilke une puissance et une portée nouvelles, et invite à repenser la radicalité de son engagement esthétique, mais aussi la modernité frappante de sa vision de la femme.
Édition établie par Erich Unglaub.
Niki de Saint Phalle, Louise Bourgeois et Annette Messager : trois femmes, trois artistes, trois vies. Trois histoires passionnantes que tresse Nathalie Piégay, dans l'imbrication de l'existence quotidienne et de l'aventure artistique. Elle dit leur solitude et la part de folie qui les pousse à faire oeuvre, tout en cherchant à comprendre quels liens s'établissent entre elles. Peu à peu elle découvre tout ce qui les relie : la maternité, la cruauté, la révolte, la féminité, mais aussi l'invention de personnages, le recours au tissu et à la couture, et bien d'autres motifs.Le récit se tisse comme une toile d'araignée pour révéler l'être intime de femmes qui ont inventé des univers très singuliers et puissants, reconnaissables entre mille, et qui nous bouleversent. Raconter l'histoire de ces trois femmes, c'est s'approcher au plus près de la création.Nathalie Piégay est écrivaine, critique littéraire et professeure ordinaire de littérature française moderne et contemporaine à l'Université de Genève.
Elle a publié aux éditions du Rocher Une femme invisible (2018), La Petite Ceinture (2020) et Le Caillou noir (2022).
La Polynésie se décline en un poudroiement d'îles, atolls et archipels, sur des milliers de kilomètres, mais en fin de compte un ensemble de terres émergées assez réduit : toutes réunies, elles ne feraient pas même la surface de la Corse. Et ce territoire, c'est le Fenua.
Comme toujours chez Deville, le roman foisonne d'histoires, de rencontres et de voyages. On déambule, on rêve. On découvre les conflits impérialistes et coloniaux qui opposèrent la France et l'Angleterre, on croise Bougainville, Stevenson, Melville, puis Pierre Loti sur les traces de son frère Gustave, ou Victor Segalen et Gauguin, le peintre qui a fixé notre imaginaire de cette partie du monde, entre douceur lascive et sauvagerie. Des îles merveilleuses qui deviendront, vers le milieu du xxe siècle, le terrain privilégié d'essais nucléaires dont le plus sûr effet aura peut-être été de susciter un désir d'indépendance...
La fin des années 1970 est difficile pour Leonard Cohen. Deuil de sa mère, séparation d'avec la mère de ses enfants, approche de la cinquantaine. Il opère alors un retour au judaïsme et explore sa relation à l'Éternel, tout en se méfiant de toute religion qui prétendrait à l'exclusivité.
L'écriture des psaumes l'amène à « renoncer à sa petite volonté » pour entrer dans un dessein plus grand, beaucoup plus grand, qui permet une réunification de l'être en réparant ce qui a été brisé. Il se sauve ainsi du désespoir, et souhaite que ses psaumes en fassent autant pour ses lecteurs.
Les psaumes contemporains de Book of Mercy (Livre de la Miséricorde) chantent la plainte humaine et passionnée d'un homme à son Créateur. Ancrés au coeur du monde moderne, ces poèmes résonnent avec une tradition de dévotion plus ancienne, biblique notamment.
Édition, avant-propos et traduction de l'anglais (Canada) par Alexandra Pleshoyano.
Le 16 juin 2022, Chantal Thomas était reçue par Dany Laferrière sous la Coupole de l’Institut de France. Une semaine auparavant, le comité de l’épée s’était réuni, pour la remise, en la circonstance, d’un éventail.
C’est l’ensemble des discours tenus lors de ces deux cérémonies que l’on retrouve ici.
Prix Les Inrockuptibles Essai 2020
De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom - Orange. Sept dirigeants sont accusés d'avoir organisé la maltraitance de leurs salariés. Parfois jusqu'à la mort.
On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Le P-DG a un seul regret : " Cette histoire de suicides, c'est terrible, ils ont gâché la fête. "
Il y avait donc une fête ? Parlons-nous la même langue ?
À la fois érudit et joueur, ce road trip fait d’enquêtes et de rencontres choisies nous plonge dans l’Ouest américain, celui des infinis déserts méditatifs et de la Silicon Valley où se mène une course effrénée contre le temps et l’obsolescence humaine. Entre sciences et croyances, on découvre multiples tentatives de gagner l’éternité et l’immortalité, par les technologies les plus audacieuses et étonnantes, le pari de la cryogénisation, ou encore le développement personnel, toutes traversées par la promesse de « devenir soi-même ».
Avec cette interrogation qui se pose à chacune et chacun : que faire du temps qui nous reste ?
Rêves, folies, recherches pointues et pionnières, l’être humain ne se résout pas à l’idée de sa propre mort. Et ce refus le rend inventif, c’est le moins qu’on puisse dire.
L’être plus. Itinéraire pour Devenir soi-même est un livre insolite et génial à sa façon, qui nous entraîne sur les routes de l’humain « augmenté » et préservé à tout prix. Une nouvelle ruée vers l’or, sur les terres du western.
En 1721, Philippe d'Orléans est Régent de France. L'exercice du pouvoir est agréable, il y prend goût. Surgit alors dans sa tête une idée de génie : proposer à Philippe V d'Espagne un mariage entre Louis XV, âgé de onze ans, et la très jeune infante, Anna Maria Victoria, âgée de quatre ans - qui ne pourra donc enfanter qu'une décennie plus tard... Et il ne s'arrête pas là : il propose aussi de donner sa fille, Mlle de Montpensier, comme épouse au jeune prince des Asturies, futur héritier du trône d'Espagne, pour renforcer ses positions et consolider la fin du conflit avec le grand voisin.La réaction à Madrid est enthousiaste, et les choses se mettent vite en place. L'échange des princesses a lieu début 1722, en grande pompe, sur une petite île au milieu de la Bidassoa, la rivière qui fait office de frontière entre les deux royaumes. Tout pourrait aller pour le mieux. Mais rien ne marchera comme prévu...
L’époque voudrait nous convaincre que la modernité, c’est fini. Qu’il faut en revenir aux canons, et au bon vieux récit, celui qui plaît, celui qui enchante le public. Comme si rien ne s’était passé, précisément, avec ces avant-gardes dont on ne peut pourtant contester qu’elles ont animé le XXe siècle.
Revenant sur l’histoire de la modernité et sur les définitions qui en ont été données, Philippe Forest analyse la façon dont, ces trois dernières décennies, l’idée s’est imposée d’une littérature ayant à se réconcilier avec elle-même afin de se réconcilier avec le monde. Sous couvert d’un plaisir de lecture qui aurait été malmené par des expériences formalistes ou autres, on serait désormais invité à la répétition du même, puisque tout aurait été dit, et excellemment dit. Et si, au contraire, tout restait à dire, sans cesse ?
À contre-courant du bruit journalistique et de l’académisme ambiant, l’auteur nous invite à questionner les conditions de possibilité d'une parole littéraire qui ne renonce pas à l'exigence moderne. Ce questionnement concerne davantage que le strict champ de l'esthétique et emporte avec lui toutes sortes de conséquences – notamment une conception de la culture devenue une chose inessentielle et presque dérisoire.
De son vivant, Roland Barthes a peu publié sur Proust : cinq textes ou articles - bien que ce fût sans doute, de son propre aveu, l'auteur qu'il aura le plus lu, dès l'adolescence et avec une importance encore accrue les dernières années, dans le deuil de sa mère morte en 1977, qu'il n'a cessé de mettre en écho avec la mort de la mère de Proust, en 1905.
Car Proust est un puits sans fond, et une énigme qui garde tout son vertige. Il y a le passage de la mondanité à la retraite de l'écriture (le « ça prend »). Il y a la construction par blocs de la Recherche, son moteur narratif, sa géographie, sa profondeur historique, la mémoire involontaire, la préparation des personnages, les renversements d'optique, les distorsions des modèles, bref, toute une alchimie complexe, innovante, audacieuse, l'invention d'une forme.
Barthes ouvre des pistes, prend des raccourcis, adopte, écarte, il offre une vision parfaitement moderniste d'un auteur extraordinairement moderne.
On a regroupé ici les textes parus du vivant de Barthes, la transcription de trois émissions de France Culture, quelques inédits, quelques fragments d'un cours au Collège de France, et une importante sélection de fiches issues du « grand fichier ». Au fond, ce livre répare un manque. Le « Proust par Barthes » faisait défaut. Le voilà, scintillant, vibrionnant, séminal.
Places royales et faubourgs brumeux, enceintes, barricades et passages, c'est la trame serrée des quartiers parisiens qui organise cette déambulation proposée aux flâneurs des rues et des livres.
On y voit naître, au rythme des enceintes successives, l'éclairage public, l'enfermement des pauvres et des fous, le numérotage des maisons, les terrasses des cafés et la police de proximité. Du Marais des Précieuses au XIe arrondissement des "branchés", on assiste aux migrations de la mode, à l'apparition de microvilles dans la ville, celles de Scarron, de Des Grieux, de Desmoulins, de Rubempré et de l'autre Lucien, Leuwen, celles de Gavroche, de Baudelaire et de Manet, d'Apollinaire, celles encore de Nadja, de Doisneau ou d'Anna Karina.
Mais les vrais héros du livre, ce sont des anonymes, les architectes du désordre qui, de génération en génération, se sont transmis l'art d'empiler les magiques pavés, au faubourg Saint-Antoine en prairial an III, au cloître Saint-Merri en juin 1832, au clos Saint-Lazare en juin 1848, à Belleville en mai 1871, au quartier Latin en mai 1968, démontrant chaque fois - et plaignons ceux qui croient la série close - la force de rupture de Paris.
Hans Ulrich Obrist a enregistré des milliers d’entretiens avec les meilleurs créateurs, artistes, musiciens, écrivains, penseurs, philosophes. Il est un des curateurs d’exposition les plus réputés à l’échelle internationale. Dès son adolescence, il s’est mis à écumer l’Europe, en trains de nuit, pour visiter des ateliers – là où s’approche l’essentiel de l’art et de ses mystères. « J’ai toujours été inspiré par l’idée d’être au milieu des choses mais au centre de rien. »
Pourtant, qui connaît Hans Ulrich Obrist ? Curieux et enthousiaste de tout, il est resté très discret sur lui-même. Dans ce livre événement, il accepte enfin de s’exposer.
Tout part de l’enfance, en Suisse, à deux pas des frontières allemande et autrichienne, à même d’inspirer une conception fluide de la notion d’identité. Et puis, vers l’âge de six ans, c’est un très grave accident : renversé par une voiture, il passe plusieurs semaines entre la vie et la mort. Il en tire le sentiment persistant que chaque jour pourrait être le dernier.
Sa frénésie de découvertes, de rencontres, de lectures, en fait un infatigable bourlingueur. Mais, tout à coup, c’est la pandémie, le confinement. Un arrêt brutal. Et l’occasion de prendre le temps d’un retour sur soi. Entre rituels, croyances, convictions, fulgurances, on comprend la cohérence des choix, et la volonté de toujours se renouveler.
Hans Ulrich Obrist (né en 1968 à Zurich) est directeur artistique de la Serpentine à Londres et conseiller principal de la Fondation LUMA à Arles. Il a également été curateur au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Depuis sa première exposition World Soup (The Kitchen Show) en 1991, il a été le commissaire de plus de 350 expositions.
Dans un monde qui produit de la terreur, de l'effroi, nous sommes parfois sidérés : le langage échappe, nous laisse sans mots. Et pourtant, ce qui nous fait, ce sont les mots, c'est l'effort de mettre en mots.
Tantôt, tantôt, tantôt est un relevé inédit de nos terreurs, une topologie de nos effrois intérieurs. Dans ce livre subtil et profond, Virginie Poitrasson écrit sur la peur, depuis la peur, en multipliant les perspectives et les registres. Son écriture toute en sensations convoque de singulières formes de conjuration et relève une nouvelle fois le pari de la littérature : trouver les mots pour dire le monde et la force qu'il faut pour l'habiter.
Née en 1975, Virginie Poitrasson est poète, traductrice de poésie américaine (Ben Lerner, Lyn Hejinian) et auteure d'écrits sur les œuvres de Pierre Soulages et Pierrette Bloch. Elle réalise des performances et donne régulièrement des lectures publiques en France et à l'étranger.
« L'un des plus grands livres du siècle. » The Irish Times
Une femme, mère au foyer, vit l'essentiel du quotidien dans sa cuisine. L'âge est venu, elle a surmonté un cancer, et dans sa tête elle rumine le monde, ses folies, ses dangers, les fusillades dans les écoles, la crise économique qui fait toujours payer les mêmes, la pauvreté, l'angoisse du lendemain, les équilibres plus que précaires, sa mère décédée d'une longue maladie. Ça se passe dans l'Ohio. Et ça nous parle, au plus profond, de tout, partout. Cette femme pense aux diverses tâches domestiques qui l'attendent, nécessaires à faire tourner le ménage. Elle s'indigne, contre Trump, ce président terrifiant, ou face au dérèglement de la planète, mais aussi contre la domination patriarcale, l'asservissement des femmes ou l'extermination des Amérindiens. Tout cela roule dans sa tête. Et c'est parti pour une formidable aventure narrative, en une coulée pleine de rebondissements, scandée par une formule litanique - « le fait que » - qui vous emporte dans une apnée littéraire exceptionnelle.
Dans ce livre finaliste du Booker Prize et salué par une presse dithyrambique, Lucy Ellmann réussit le miracle de nous faire toucher à l'universel par le biais du plus intime et du plus infime. Par son humour corrosif, elle mène une charge impitoyable contre l'Amérique et le monde d'aujourd'hui, et dresse un admirable portrait de femme - de toutes les femmes.
Traduit de l'anglais par Claro
Le temps, nous ne le voyons de face qu’au moment de mourir mais la photographie nous a donné le pouvoir étrange de le saisir par des coupes qui l’interrompent et le suspendent. Chacune de ces coupes agit comme une césure et comme une éclosion : par le choix de l’instant et du cadre, une éruption de sens est délivrée chaque fois. Ce pouvoir, que l’exubérante quantité d’images disponibles dissimule, Une éclosion continue cherche à le comprendre, et de deux manières : tout d’abord par des réflexions de portée générique qui recoupent des problématiques liées à l’histoire de la photographie, puis en faisant la part belle à l’expérience vécue par des photographes d’aujourd’hui.