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Patrick Modiano
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« C'était une période de ma vie dont je ne pouvais parler à personne, et dont je me demandais quelquefois si je l'avais vraiment vécue. » Patrick et son frère sont hébergés par des amies de leurs parents. De ces femmes, ils savent peu : des bribes de conversations, des portes entrebâillées, de fugitifs visiteurs, des visages baignés de larmes, des sourires de façade, et ces mots, de nombreuses fois égrenés, « la bande de la rue Lauriston ». Dans ce monde intangible, les deux frères se tiennent par la main promenant leur enfance au gré d'escapades nocturnes au château voisin et d'excursions à Paris, en attendant qu'un jour prochain enfin quelqu'un vienne les chercher.
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Je m'étais assise à la terrasse de l'un des cafés, vis-à-vis du stade Charlety. J'échafaudais toutes les hypothèses concernant Philippe de Pacheco dont je ne connaissais même pas le visage. Je prenais des notes. Sans en avoir clairement conscience, je commençai mon premier livre. Ce n'était pas une vocation ni un don particuliers qui me poussaient à écrire, mais tout simplement l'énigme que me posait un homme que je n'avais aucune chance de retrouver, et toutes ces questions qui n'auraient jamais de réponse. Derrière moi, le juke-box diffusait une chanson italienne. Une odeur de pneus brûlés flottait dans l'air. Une fille s'avançait sous les feuillages des arbres du boulevard Jourdan. Sa frange blonde, ses pommettes et sa robe verte étaient la seule note de fraîcheur dans ce début d'après-midi d'août. A quoi bon tâcher de résoudre des mystères insolubles et poursuivre des fantômes, quand la vie était là, toute simple sous le soleil ?
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Il faut croire que parfois notre mémoire connaît un processus analogue à celui des photos Polaroïd. Pendant près de trente ans, je n'ai guère pensé à Jansen. Nos rencontres avaient eu lieu dans un laps de temps très court. Il a quitté la France au mois de juin 1964, et j'ai écris ces lignes en avril 1992. Je n'ai jamais eu de nouvelles de lui et j'ignore s'il est mort et vivant. Son souvenir était resté en hibernation et voilà qu'il resurgit au début de ce printemps 1992. Est-ce parce que j'ai retrouvé la photo de mon amie et moi, au dos de laquelle un tampon aux lettres bleues indique : Photo Jansen. Reproduction interdite ? Ou bien pour la simple raison que les printemps se ressemblent ?